Période: Après Guerre (1945 - 1958)
Folklore: Faluche
Région: Occitanie
Type d'objet: Coiffes
Filière: Pharmacie
Ville: Inconnue
Année: 1945

Description

Son ruban circulaire est en satin moiré vert, une sorte de tissu parfois utilisée sur les vieilles faluches, avec 6 étoiles dorées et argentées séparées par des palmes, parfois manquantes. Sur le velours, on trouve les lettres ACEP. Au niveau des insignes, on trouve de nombreux blasons (Toulouse, Paris, Lille, Strasbourg, Pau, Flandres...), des insignes scouts et religieux, ainsi que des pin's de souvenirs de Belgique, Suisse, Allemagne, ou encore d'U.R.S.S.

On trouve les insignes associatifs suivants :

  • Un insigne de l'Union des Etudiants Lillois (U.E.L., sur un ruban velours vert),
  • Un insigne de l'Association Amicale des Etudiants en Pharmacie de Lille (A.A.E.P.L.),
  • Un insigne de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (J.E.C.),
  • Et un insigne de la Fédération Française des Etudiants Catholiques (F.F.E.C.).

Au niveau des insignes étudiants, on trouve un symbole rhô, une lyre et un sou troué, matérialisé par une pièce à trou de l'Etat Français de 1942 attachée à un insigne du Dauphiné la Province de Grenoble.

Enfin, et surtout, un badge au nom de « Mlle S. Denjean ». Le plus probable et l'hypothèse acceptée dans les lignes qui suivent est qu'il a appartenu au propriétaire de cette faluche.

Analyse

Ces informations, couplées au circulaire, ne laissent plus planer de doute sur sa filière : la Pharmacie.

Après avoir recherché notre « Mlle S. Denjean » dans les données des décès de l'INSEE [1], on ne trouve que des personnes prénommées Simone ou Suzanne. Et c'est en torturant Google, que notre Simone commence à apparaître. Née en 1927 à Cahors, elle a remporté un Prix d'Excellence en classe de 5ème au Lycée Clément Marot [2], elle y passe son baccalauréat littéraire (première réthorique) en 1943 puis scientifique en 1944 qu'elle obtient à 17 ans [3]. A cette époque là, la classe de première "réthorique" était symbolisée par un rhô. C'est une pratique qu'on retrouve dans le Code Toulousain de Mars 1966, mais qui se pratiquait déjà en 1945 selon Manuel Segura [4]. Il est possible qu'elle ait eu un Epsilon à droite du rhô qu'elle a peut-être perdu. Plus tard, elle y tient sa propre officine de 1971 à 1990 [5] après avoir pratiqué une dizaine d'années à Lauzerte [20] entre Agen et Montauban. Elle a été membre de nombreuses association, dont la prestigieuse Société d'Histoire de la Pharmacie de 1987 [8] à son décès en 2017 [9].

Revenons à l'A.C.E.P. Au début des années 1930, des étudiants parisiens fondent l'Association Catholique des Etudiants en Pharmacie de Paris (A.C.E.P.P.). Cette association avait pour but de "promouvoir la formation morale, sociale et professionelle des étudiants et stagiaires en pharmacie"., et de promouvoir l'esprit de camaraderie entre eux [10]. Elle réalisa également des opérations carritatives à l'attention des pauvres, des nécessiteux et des prisonniers de guerre en particulier pendant le second conflit mondial [11][12]. Quatre ans plus tard, en septembre 1938, l'A.C.E.P.P. fonda l'Association Catholique des Etudiants en Pharmacie (A.C.E.P.), à portée plus nationale [13].

Du vendredi 22 au lundi 25 Avril 1949, l'Association Catholique des Pharmaciens de France tient son congrès annuel à Lille. Le thème de celui-ci est « Les jeunes diplômés et l'avenir de la proffession. » conformément à ce qui avait été décidé à Nantes un an auparavant [14]. L'A.C.E.P. est évidemment invitée. 80 étudiants en pharmacie, acceuillis par le Cercle Catholique des Etudiants (de Lille), sont présents en compagnie du gratin de la pharmacie française : représentants du Ministère de la Santé, députés, présidents des ordres régionaux, représentants d'université, etc… [15] Parmi les étudiants de l'A.C.E.P., on trouve son président, M. Molinié, de Paris. Le président de l'antenne de Montpellier, M. Robinet, était également présent. Le dimanche, les pharmaciens font une excursion à Bruges avant les discours de clôture qui se déroulent le lundi [16].

Alors âgée de 22 ans, notre future pharmacienne était donc à l'université au moment de ce congrès des pharmaciens catholiques de 1949 et plusieurs éléments semblent le relier à cette faluche : outre les initiales de l'A.C.E.P., on trouve les insignes de l'U.E.L. et de l'A.A.E.P.L. de Lille, mais également l'insigne de Flandres auquel est attachée une médaille religieuse de Bruges, dont les pharmaciens ont visité la cathédrale.

Malheureusement, il est impossible de connaître sa ville d'étude à partir de sa faluche. Le plus probable est qu'il s'agisse de Toulouse car c'est le siège de l'accadémie de Cahors. Juste à côté des insignes lillois se trouve le badge nominatif qu'elle a peut-être porté pendant le congrès. Ce badge est sur un ruban Bleu et Rouge, les couleurs de Toulouse. Mais ceci n'est qu'une hypothèse et rien n'exclue qu'elle ait réalisé ses études ailleurs...

Du 18 au 22 Septembre 1967 [17], Simone Denjean a probablement participé aux Journées Pharmaceutiques Françaises (aujourd'hui les Journées Pharmaceutiques Internationales de Paris), organisées par la Société des Techniques Pharmaceutiques (aujourd'hui la Société Française des Sciences et Techniques Pharmaceutiques) [18] qui se tenaient traditionnellement à la Faculté de Pharmacie de Paris. C'est peut-être à ce moment-là qu'elle a visité le Sacré-Coeur dont on voit une médaille sous un insigne de Paris. [mise à jour 21/06/2022]

Si rien n'indique que Simone Denjean a appartenu aux associations étudiantes dont on voit les insignes sur sa faluche - se sont très probablement des cadeaux qu'elle a reçu - l'associatif a eu une place importante tout au long de sa vie : Société des Etudes Littéraires, Scientifiques et Artistiques du Lot de 1961 [6] à son décès en 2017 [7], Société Archéologique du Tarn et Garonne de 1965 [20] à 1970 [21], présidente des Amis du Vieux Lauzerte en 1970 [21], trésorière puis présidente de la Chorale de Cahors en 2000 [22], au Comité d’Administration de la section du Lot de la Ligue Nationale contre le Cancer jusqu’à son décès [23], et bien évidemment la Société d’Histoire de la Pharmacie.

On trouve également de nombreux pin’s de souvenirs de Moscou, de Leningrad (Saint-Pétersbourg), des montagnes Suisses, d’Allemagne, ou encore de la béatification d’un ancien évêque de Cahors en 1981 [24]. Tous ces pin’s nous indiquent que Simone Denjean a conservé longtemps sa faluche, probablement toute sa vie, et qu’elle a continué d’y accrocher les souvenirs de ses voyages.

La présence de nombreux éléments religieux sur la faluche de Simone Denjean nous rappelle l’importance de ne pas dissocier un objet de son contexte. Avant 1960, la Faluche n’était ni apolitique, ni asyndicale, ni aconfessionnelle. Elle n’était pas particulièrement politique, syndicale ou religieuse non plus. Elle était simplement l’emblème des étudiants et chacun y mettait ce qui lui tenait à cœur sans restriction. C'est vers le milieu des années 1980 que les associatifs étudiants devinrent apolitiques. Héritiers des Majos, ils étaient opposés à l'UNEF syndicale, et en réaction à l’atmosphère ultrapolitisée dans les universités, ils bannirent les témoignages d'engagement (politique, religieux, etc...) des associations étudiantes, et par extension de la Faluche, pour favoriser la concorde entre les étudiants et l’unité dans le folklore estudiantin français.

Méthodologie

Il faut rester prudent quant à toutes les informations communiquées ci-dessus. En l'état actuel des recherches, rien n'indique avec absolue certitude que Simone Denjean a appartenu à l'A.C.E.P. De la même façon, il est actuellement impossible de certifier que cette faluche lui a appartenu. Tout est imaginable. Par exemple, elle aurait pu offrir son badge à un autre participant du congrès qui l'aurait mis sur sa propre faluche. Les conclusions évoquées ci-dessus sont ma propre conviction après avoir recoupé les éléments découverts et après avoir évalué le degré de réalisme des différentes hypothèses. Si de nouveaux éléments sont découverts, cet article sera mis à jour.

Toutefois, s'il s'agit bien de la faluche de S. Denjean :

Le nom de famille DENJEAN ne représente qu'environ 300 naissances tous les 10 ans selon le site de généalogie filae.com, soit environ 150 femmes.

Selon le site de l'INSEE, le prénom Simone représentait environ

  • 2.5 % des prénoms féminins dans les années 1920
  • 1.8 % des prénoms féminins dans les années 1930
  • 0.9% des prénoms féminins dans les années 1940

Cela fait un total d'environ 8 Simone Denjean nées entre 1920 et 1950. De la même façon on va trouver environ 2 Simonne (2 N) ; 6 Suzane et 2 Solange Soit un total de 18 S. Danjean environ sur 30 ans. Il apparait donc une très faible probabilité que sur ces 18 S. Denjean, deux soient pharmaciennes. C'est pourquoi il me semble très peu probable qu'il s'agisse d'une autre personne.

Les seules certitudes sont que S.Denjean est la personne décrite dans les lignes ci-dessus, et que cette faluche a appartenu à un membre de l'ACEP. La présence d'un pin's reliant cette faluche à la ville de Cahors renforce la probabilité qu'elle ait bien appartenu à Simone, mais cela reste encore une hypothèse - certes très crédible - à démontrer formellement.

[Mise à jour 20/06/2022 : ] La personne qui a cédé cette faluche nous a finalement informé qu'il avait acheté cette faluche auprès d'un particulier à Cahors renforçant grandement la probabilité qu'elle ait effectivement appartenu à Simone.

Remerciements

Remerciements tout particuliers à Emilie C. de Valenciennes, qui a participé à la découverte d’éléments majeurs de l’analyse de cette faluche. Merci également à Hervé Giraud et Eric Météyé d’Estudiantineries et à Ludovic Grégoire du Musée Belge des Traditions Estudiantines pour avoir supporté mes questions et pour leurs remarques constructives. Merci à Judith M., François G. et à Kévin S. pour leur relecture.

Sources

[1] Fichier des personnes décédées depuis 1970, INSEE, mis à jour le 13/05/2022
[2] Journal du Lot, 16 Juillet 1939
[3] Récipissé du Baccalauréat de Anne-Marie Simone Denjean, remis par les facultés de Lettres et de Sciences de Toulouse, Archives du Rectaurat de Toulouse.
[4]« La Faluche, une forme de sociabilité étudiante », Manuel Segura
[5] Societe.com Entreprise Individuelle « Madame Simone Denjean »
[6] Bulletin de la Société des Etudes Littéraires, Scientifiques et Artistiques du Lot du 1er Octobre 1961
[7] Bulletin n°4 de 2017 de la Société des Etudes Littéraires, Scientifiques et Artistiques du Lot
[8] Compte-Rendu de la 233è séance de la Société d’Histoire de la Pharmacie, 29 Novembre 1987
[9] Compte-Rendu de la 353è séance de la Société d’Histoire de la Pharmacie, 12 Décembre 2015
[10] La Gazette des Escholiers, Bordeaux, n°42 Mars 1935
[11] La Croix, 6 Décembre 1945
[12] Journal des Débats Politiques et Littéraires, 28 Mars 1938
[13] Registre National des Associations
[14] La Croix du Nord, 22 Avril 1949
[15] La Croix du Nord, 23 Avril 1949
[16] La Croix du Nord, 26 Avril 1949
[17] Julien Pierre, Revue d'Histoire de la Pharmacie, n°194, 1967
[18] S. Denis, Gazette Labo n°10, Septembre 1996
[19] L'Echos d'Alger du 31/05/1949, L'Aurore du 05/10/1950, Vie et Bonté du 01/01/1964,
[20] Bulletin de la Société Archéologique du Tarn et Garonne, 1965
[21] Bulletin de la Société Archéologique du Tarn et Garonne, 1970
[22] La Dépêche, 22 Décembre 2000
[23] Procès Verbal d’Assemblée Générale de du Comité Départemental du Lot de la Ligue Nationale contre le Cancer du 13 Avril 2018 
[24] Article « Liste des béatifications prononcées par Jean-Paul II », Wikipedia, consulté le 25/05/2022
 
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