Description

Ce bréviaire de l'Association Générale des Etudiants de Lyon ne contient que des chants qui ont disparu du patrimoine étudiant. Peut-être y reviendront-ils un jour ?

On y trouve :

  • Prélude
  • Buvons, chers amis
  • Le Béret
  • Amour et Dissection
  • La Place Bellecour
  • Complainte d'un étudiant de la Guille
  • Asile héréditaire
  • Le monôme lyonnais
  • La cataracte
  • Nocturne
  • Le carabin du Midi
  • L'étudiant bourguignon
  • La chanson des étudiants lyonnais
  • L'étudiant lorrain
  • L'étudiant français et l'étudiant teuton
  • Congé

Analyse

La chanson Le Béret, écrite vers 1890, raconte l'arrivée de la Faluche dans la Capitale des Gaules. Elle est sur l'air de la chanson A la Villette, du grand chansonnier Aristide Bruant, dont les airs ont souvent été repris par les étudiants, en modifiant - ou pas - les paroles. On lui doit également, entre autres, Le Chat noir, Sur la route de LouviersNini Peau d'Chien ou encore Le chant des canuts.

« C'était en plein siècle d’progrès,
Un étudiant, fou des bérets,
Voulut s’orner le coin d’la hure
De c’tte coiffure... 

En revenant des Fêtes de Bologne de 1888, le congrès célébrant les 800 ans de cette université, les étudiants de l'Association Générale des Etudiants (A.G.E.) de Paris auraient ramenté le béret. Sur le chemin du retour, ils furent célébrés dans chaque ville comme des princes pour avoir magnifiquement représenté les étudiants de France. Ils s'arrêtèrent entre autres à Aix-en-Provence, Marseille, Lyon, ... Le récit de leur voyage et le béret qu'il rapportèrent donnèrent envie aux étudiants de ces villes de se trouver également une coiffe. On a longtemps cru que c'était la faluche1 qu'ils avaient ramenée ce jour-là, mais les recherches récentes de Pierre Blaignon, et de Manuel Segura ont permis de corriger une erreur que le folklore a transmis pendant près de 80 ans. Le chapeau qu'ils ont ramené était l'Orsina, une coiffe italienne. [1]

« ...Mais l’Comité2 d’l’Association
Dit : « C’est pas assez chouett' pour Lyon.
D'un bohème on aurait l’allure
Sous c’tte coiffure... »

Quand les étudiants de Paris adoptèrent officiellement la faluche en décembre 1888, de nombreuses autres villes étaient tellement enthousiastes qu'elles firent de même. En Janvier 1889, le béret est déjà présent dans le Rhône [2]. Chacun voulait alors avoir sa propre coiffe distinctive basée sur le béret. Lyon voulu l'adapter en prenant la toque du Moyen-Âge comme exemple, car elle rappelait Rabelais. Les journaux étudiants de Montpellier et de Lyon se disputèrent alors ce privilège. Rabelais était Bachelier à Lyon disaient les uns. Il était docteur et professeur à Montpellier disaient les autres. Mais les lyonnais tergiversèrent trop, et c'est Montpellier qui s'appropria la symbolique en créant ce béret à crevés que nous connaissons aujourd'hui. C'est ainsi que naquit la faluche Montpellieraine [3]. 

Retenant la leçon, les étudiants de l'A.G.E. de Lyon décidèrent de déposer un brevet pour protéger la coifffure qu'ils avaient choisie. « Pour lutter contre cette prise de possession générale [ils] ont agrémenté leur béret d'une brôderie d'argent relevant la coiffure à gauche et rejoignant par un liseré violet le côté opposé. Cette brôderie figure le lion de la ville entouré des palmes universitaires » [4].

Sous la présidence d'Olivier Métrat, ils « préparaient une surprise absolument inédite » pour le Bal des Etudiants du Samedi 23 Février 1889 au Théatre-Bellecourt de Lyon. C'est lors de cette fête étudiante qui « dépassa les splendeurs de toutes celles du même genre qui l'ont précédée », « au milieu des innombrables costumes qui bigarrent la foule immense des habits noirs des tons les plus merveilleux de la gamme de couleur », que les étudiants lyonnais officialisèrent leur « béret de velours nouveau modèle » [5][6].

Faluche d'un étudiant lyonnais ayant été mise en vente sur Internet.

« ...Mais un’ modiss’ qu'avait d’l'esprit
En fit trois cents, et la mod’ prit,
Rapport au ruban, couleur pure
De c’tte coiffure... »

Le « modiss' » qu'ils choisirrent fut le couturier A la Grande Maison. Situé Place de la République, et il était le « seul fournisseur de bérets de l'Université de Lyon ». [7] Et pour s'assurer que le béret serait la coiffe exclusive des étudiants, ils imposèrent que la carte d'étudiant soit présentée pour pouvoir se procurer la fameuse coiffure. [8] L'idée de protéger le chapeau fut reprise par l'A.G.E. de Paris, mais ça n'empêcha pas de nombreuses corporations professionelles de tenter de s'approprier le béret. Chacune le personalisait pour se faire reconnaître. Par exemple, les lycéens en réthorique de Lyon arboraient un large ruban jaune barré d'un petit ruban bleu. Chaque classe avait sa couleur [9]. Mais cette "bérétomanie" qu'évoquent les journaux de l'époque, ne dura que quelque mois. Alors que les lycéens, et toutes les corporations professionnelles cesserent rapidement de porter le béret, « la mod'prit » chez les étudiants qui persistèrent à le porter.

Quant au « ruban couleur pure » , cela pourrait être le ruban circulaire, mais il semble plus probable que ce soit une référence à ce ruban violet disposé à côté de la broderie sur la photo ci-dessus. Evoqué dans la description précédente, on le retrouve jusqu'à la fin de la première guerre mondiale sur les bérets des étudiants lyonnais comme en témoignent la carte d'étudiant de Robert Marchand (1913-1917) mais également cette photo de groupe, ces deux objets faisant partie du fonds d'Hervé Giraud pour Estudiantinerie. 

« ...Le roug’ sang aux faturs médecins,... »

« ...Le roug’langue aux avant-parliers3 ... »

« ...Aux lettres jaun’, dorés rubans,... »

« ...L’ vert sous-marin aux pharmaciens... »

« ...Le roug’ braise aux scientificuss’... »

« ...Sur le béret du chic rapin4,
Le violet : ce lilas peint... »

Le Béret est également l'une des plus anciennes références écrites connue de la couleur des rubans circulaires en fonction des études suivies. Si certaines correspondent aux couleurs adoptées depuis plus de 100 ans, d'autres sont plus surprenantes. Les scientifiques en rouge et non violet ? Les rapins4, c'est à dire les étudiants des Beaux-Arts, en violet et non en bleu ?

Pour finir, on apprend également que cet hymne de la faluche était chanté par tout le monôme lyonnais. Les monômes - dont on trouve également une chanson éponyme dans ce livret sur l'air... du Béret - c'étaient ces grandes manifestations étudiantes, parfois festives, parfois revendicatrices, lors desquelles les étudiants déambulaient en grands groupes dans les rues de la ville coiffés de leurs bérets, et qui « effarouchaient les promeneurs, faisaient se mobiliser la Police et affolaient les concierges » [9]. Il apparait donc fort probable que tout étudiant de la ville connaissait ce chant par cœur, et qu'il soit placé au début de leur Bréviaire semble bien confirmer son importance pour les étudiants lyonnais de la Belle Epoque.

Sources et annotations

[1] Manuel Segura, De l'origine du béret, 2012
[2] La coiffure des étudiants, Gazette des hopitaux de Toulouse, 2 février 1889
[3] Bérets et chapeau, Le Petit Parisien, 6 mars 1889
[4] Le béret universitaire, Bulletin de travaux de l'Université de Lyon, 1889
[5] Bal des étudiants, Le Progrès, 5 février 1889
[6] Bal des étudiants, Le Progrès, 24 février 1889
[7] A La Grande Maison (publicité), Lyon Universitaire, Novembre 1896
[8] La question du béret, Le XIXè siècle, 19 mars 1889.
[9] Onésime, Lyon Universitaire, Février 1895

1 Le mot faluche est utilisé à plusieurs reprises dans cet article. Il est tantôt utilisé ici pour préciser que le béret évoqué est bien celui des étudiants, tantôt pour éviter une répétition. Mais à l'époque, tout le monde parlait du béret, et le mot faluche n'est utilisé pour le désigner qu'à partir des années 1920.
2 Le bureau
3 Avocat
4 Artiste

Merci à Régis d'Estudiantinerie pour ses conseils et le partage de sources qui ont permis la rédaction de cet article. 

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